Nous voici aujourd’hui au seuil de la dernière étape de cette chronique. Le 20ème siècle s’ouvre devant nous avec ses espoirs et ses craintes. Siècle contradictoire s’il en fut, capable du pire comme du meilleur. Nous savons aujourd’hui, qu’au moins dans sa première moitié, il fut de sang et de mort. Notre village, pourtant, en ce début de siècle, ne semble pas être affecté par ces nuages noirs qui s’amoncellent.
Dans notre vallée, on voyage encore bien peu. Les jeunes gens prennent le train pour la première fois lorsqu’il leur faut rejoindre leur unité au moment du service militaire. Les villageois se rendent en carriole à Houdan ou à Mantes pour le marché, mais rarement plus loin. La ligne de tramway évoquée lors de notre dernière chronique est plus que jamais appelée de leurs vœux par les communes concernées mais toujours pas construite. En témoigne cette délibération du conseil municipal de Villette du 17 décembre 1902 qui « Considérant les avantages qui résulterait pour la commune de Villette la construction d’une ligne de tramways de Mantes à Houdan. Vote une subvention annuelle de 100 F pour une période de 50 années. »[i].
Concurremment au projet de tramway, la ligne d’autocar entre Mantes et Septeuil, elle, fonctionne et rend de grands services à la population. Là aussi en témoigne cette autre délibération du conseil municipal du 1er septembre 1905 qui « vote une subvention annuelle de cinquante francs à l’exploitant du dit service », voir encadré.
Par ailleurs, afin d’améliorer la circulation aux abords de l’église, la commune décide de déplacer le cimetière devenu de toute façon trop petit. Ainsi lors du conseil municipal du 28 novembre 1901 M le Maire expose « que le cimetière actuel, qui existe depuis des siècles, est au sein de la population, que cette situation par la proximité des habitations ; la surélévation des terres, porte atteinte à la salubrité publique et qu’en outre l’angle aigu qu’il décrit en face le moulin de la ville est un danger constant pour la circulation qu’il serait urgent de faire choix d’un emplacement pour l’établissement d’un nouveau cimetière. »
Le 5 août 1902 le financement de ce nouveau cimetière situé sur Chavanne est voté pour une dépense de 6112,50 Francs couverte aux deux tiers par un emprunt sur vingt ans. Les travaux entrepris fin 1902 s’achèvent en août 1903. La commune en ce début de 20ème siècle est maintenant dotée d’un nouveau cimetière mais la suppression de l’ancien ne se fera que dix-sept ans plus tard.
Et puis vint la guerre !
Cette guerre saisit l’Europe par surprise. Jusqu’à la dernière semaine de juillet, beaucoup pensaient que la crise ouverte par l’attentat de Sarajevo se réglerait pacifiquement. Et pourtant, le 31 juillet 1914 Jean Jaurès, un des dernier à s’efforcer d’éviter la guerre, est assassiné. Le 2 août l’Allemagne occupe le Grand-Duché de Luxembourg. Le lendemain, l’empereur Guillaume II déclare la guerre à la France et envahi la Belgique. Bien qu’éloignée du front notre commune ne reste pas sans agir. En témoigne cette délibération du Conseil Municipal :
Le 20 décembre 1914 le conseil municipal de Villette « désirant manifester ses sentiments de sympathie, d’admiration et de reconnaissance à l’héroïque nation belge, vote une somme de vingt cinq francs qui sera […] versée au comité franco belge. ».
La vie quotidienne devient difficile, il s’agit tout d’abord de se procurer de la nourriture au moment où les productions alimentaires se font plus rares et sont réquisitionnées. Dès 1915, le pain est rationné. En 1916 les récoltes sont mauvaises et la pénurie est telle que le marché noir se développe. Une conséquence pour notre village, toutes ces difficultés auront raison du Grand Moulin de Villette qui abandonnera toute activité de meunerie.
Cette guerre va durer quatre ans pour se terminer le 11 novembre 1918 dans la forêt de Compiègne par la signature de l’armistice. Elle fera plus de 18 millions de morts et parmi eux Albert Feuillet né et habitant à Villette, fils d’Eugène Victor Feuillet conseiller municipal. Il fut tué au front à l’âge de 29 ans à la ferme du Godat dans l’Aisne près de Cormicy et Hermonville dans la Marne le 15 septembre 1914.[ii]
Presqu’un an après l’armistice, à quelques dizaines de kilomètres de notre vallée, la signature du traité de Versailles le 28 juin 1919 met le point final à ce que l’on appellera « la Grande Guerre ». A cette occasion, la France récupère l’Alsace et la Lorraine perdues lors de la guerre de 1870 et, ce que l’on sait moins : à l’occasion de ce traité sont jetées les bases de la Société Des Nations dont sera issue plus tard l’Organisation des Nations Unies (ONU).
La guerre finie, ses conséquences se font sentir encore plusieurs années après. En témoigne cet extrait du compte rendu du conseil municipal du 12 février 1922 « Monsieur le Sous-Préfet, qui nous a réunis à son cabinet mercredi 25 janvier, a fait un pressant appel en faveur des communes dévastées, nous a rappelé les souffrances et les misères endurées par elles pendant l’invasion, la situation malheureuse actuelle malgré notre victoire et nous a exhortés par esprit de solidarité et d’attachement à faire un effort financier vraiment efficace en leur faveur. »
Pourtant la vie reprend son cours et celle de notre village aussi. Le 23 mars 1920 les époux Lacoudre font don à la commune du terrain situé devant la mairie. Celui-ci deviendra la place publique que nous connaissons aujourd’hui. En signe de remerciement, elle sera dédicacée place Lacoudre. Le transfert du vieux cimetière débuté dès 1904 est maintenant achevé et le 30 mai de cette même année 1920 la commune vote les travaux destinés à modifier le tracé du chemin vicinal n°2, c’est-à-dire la suppression du vieux cimetière le long du mur nord de l’église et la réalisation de la rue de l’Eglise telle que nous la connaissons aujourd’hui.
Toujours en 1920, un projet d’éclairage public voit le jour et est adopté par délibération du Conseil Municipal du 21 août 1920 qui décide « l’établissement d’un service d’éclairage public et particulier dans la commune de Villette. Autorise monsieur Mayer, ingénieur, d’installer des poteaux, potelets, lignes et canalisations sur les chemins vicinaux et ruraux et édifices publics de la commune, et l’invite à procéder à la rédaction d’un devis et projet de traité de gré à gré pour l’éclairage communal par l’électricité ». Ainsi progressivement la forme du village se modifie pour s’adapter aux nouveaux standards de vie des citoyens de ce début de siècle. La vitesse de circulation dans le village qui jusqu’à présent n’était pas un problème commence à le devenir puisqu’en 1929 la vitesse maximum autorisée sera fixée à 16 km/h. En 1933, la rue Saint Martin jusqu’à lors en terre battue et cailloux, est goudronnée.
Bien que le Mantois s’industrialise dans cette première moitié du siècle (Filatures, lutheries, abattoirs, etc..) il y a encore assez peu de travailleurs en usine parmi les habitants de notre commune. Le recensement de 1936 à Villette[iii] fait état d’un seul ouvrier travaillant en ville, à la Cellophane. A la veille de la seconde guerre mondiale, l’essentiel de l’activité est donc encore dans le commerce et l’agriculture autour du village. Pourtant Les techniques utilisées par les paysans évoluent et en provoquant à terme une réduction du besoin en main d’œuvre, pousseront les habitants du village à rejoindre les usines. En 1911, la javeleuse remplace la faucille. Les gerbes sont alors liées au moyen de paille de seigle vert puis de cordelettes de jute et même si les innovations technologiques ne sont pas toujours adoptées rapidement, l’outillage se modernise. Par exemple, la trépigneuse qui avait fait son apparition à l’exposition de 1867 n’entrera en activité à Villette qu’en 1920, le battage au fléau ayant encore été utilisé jusqu’en 1916. Et puis, une grande nouveauté qui va révolutionner les travaux des champs, arrive dans nos campagnes. Le tracteur commence à être utilisé.
Les cultures elles-mêmes changent. Certaines disparaissent telle la culture du chanvre. Le chardon à foulon ou cardère se fait lui aussi de plus en plus rare. Ses têtes servaient à carder le drap ou la laine et se vendaient au mille. L’avoine et l’orge, aliments de base des chevaux qui se font moins nombreux, sont également en nette régression. Le cheptel se modifie à son tour, les grands troupeaux de chèvres et de moutons n’ont plus leur place dans l’environnement campagnard depuis la suppression des jachères. Les conséquences s’en font sentir dans l’organisation des cultures. Les superficies exploitées en prairie s’amenuisent chaque année au profit de la culture céréalière. Et pourtant les moulins cessent peu à peu leurs activités. Le grand moulin de Villette, mais aussi le moulin neuf. A la fin du 19ème siècle, M. Lorcet avait acheté le moulin neuf en vue d’y pratiquer l’élevage de truites. Cet ancien moulin devient donc une pisciculture dont les produits, particulièrement appréciés, se vendent toujours aujourd’hui.
Si le paysage rural de notre vallée se modifie, celle-ci reste encore un lieu de calme et de paix. C’est peut-être pour cette raison que certains artistes ont cherché à profiter du climat de notre « Valis coloris ». Dans la chronique précédente nous avions évoqué Courteline et son séjour dans notre village, Il est aussi d’autres artistes, peintre et sculpteur, qui, eux aussi, sont venu passer quelques années dans notre village. Il s’agit pour l’un de monsieur Toshio Bando (voir encadré). Il arrive à Paris en juillet 1922, s’installe d’abord dans le Quartier Latin avant de rejoindre Montparnasse où il fait la connaissance du peintre Foujita. En 1931, il déménage pour venir habiter une maison au Hameau de Garré en compagnie de sa muse Jeanne Leger Mongeot[iv]. Ils y resteront jusqu’en 1938. Toshio Bando fait partie des courants artistiques qui se développent durant cette période de « l’entre deux guerres ». Il s’agit pour l’autre de monsieur Jean-Marie Camus, artiste peintre mais surtout sculpteur qui appréciait les charmes de notre village puisqu’il y avait sa résidence secondaire. Celui-ci offrit à la paroisse deux très belles sculptures que l’on peut encore admirer dans l’église de Villette. Il s’agit d’un grand Christ en croix réalisé en plâtre sur croix de bois et d’une vierge en pierre badigeonnée[v]. Sculpteur reconnu, les œuvres de Jean-Marie Camus vont de l’œuvre monumentale telle que les monuments aux morts de la grande guerre, qu’il réalisa pour de nombreuses communes, aux portraits tels que « le Portrait de Suzanne » sculpture en marbre blanc réalisée en 1910.
On peut, d’ailleurs comprendre que certains recherchent une certaine quiétude hors des grandes villes car le climat social et politique des années 30 est de plus en plus sombre. En cause, une crise économique grandissante, un désordre politique accompagné d’une montée du nationalisme et des relations internationales de plus en plus tendues. En 1936, les élections législatives sont remportées par le Front Populaire. Léon Blum devient président du conseil. Pour peu de temps puisqu’en 1937 le gouvernement est renversé. Il aura quand même été possible de voter les accords Matignon comprenant plusieurs avancées sociales dont la semaine de 40h et les congés payés. Daladier revenu au pouvoir fera ce qu’il peut face à Adolf Hitler. Le 3 septembre 1939 la guerre est déclarée à l’Allemagne. Cette « drôle de guerre » se transforme en vrai guerre le 10 mai 1940 par l’invasion par les Allemands de la Belgique et du Luxembourg. En juillet 1940 sont votés les pleins pouvoirs au maréchal Pétain. Une longue nuit de tristesse et d’horreur commence. Elle durera jusqu’au 7 mai 1945 à Reims où le général allemand Jodl signe les termes d’une reddition inconditionnelle.
En ce qui concerne notre village et comme en témoigne une plaque commémorative dans la salle des mariages de la mairie, il fut libéré le 19 août 1944 par la 79ème division d’infanterie américaine commandée par le général Ira T. Wyche. A noter que l’officier de liaison français accompagnant cette 79ème division était le Commandant Marin, plus connu dans la résistance sous le nom de « Clergé-Vaucouleurs ».[vi]
La France sortait exsangue de cette deuxième guerre mondiale, tout était à reconstruire au propre comme au figuré. C’est dans ce contexte que l’ordonnance accordant le droit de vote aux femmes est votée par le Gouvernement Provisoire de la République le 21 avril 1944. Suivent, l’année suivante, celles à l’origine de la Sécurité Sociale les 4 et 19 octobre 1945 et le 22 août 1946 celle relative à la création des allocations familiales. C’est ainsi que, le 29 avril 1945, pour la première fois les femmes de Villette se rendirent aux urnes pour élire les candidats aux élections municipales.
Et puis progressivement, comme après la grande guerre, la vie reprit son cours. L’installation de l’éclairage public, commencé en 1923 mais arrêtée à cause de la guerre, reprend en 1949. L’installation du gaz de ville qui avait débuté en 1935 s’étend progressivement à toute la commune. Quant au téléphone, en 1959 il n’était pas encore installé à la mairie. Pour téléphoner Il fallait se rendre en face chez monsieur Quéro. En témoigne cette délibération du 23 octobre 1959 : « L’organisation municipale ne permettant pas à la mairie d’avoir son propre téléphone, il a été convenu que l’on continuerait à utiliser le téléphone de Monsieur Quéro, débitant de boissons à Villette, moyennant une rétribution de 2000 F par an ». La première et unique cabine téléphonique, aujourd’hui disparue, située près de la mairie, datait, elle, de 1962. On peut donc supposer que la mairie eu son téléphone entre 1960 et 1962 réduisant par là le chiffre d’affaire de monsieur Quéro. C’est en 1969 que la municipalité met en place l’identification des différentes voies du village et la numérotation des habitations. Mais cette marche vers le progrès s’accompagne aussi de quelques nuisances. Depuis 1967, une ligne à haute tension, en provenance de Porcheville et se dirigeant vers Boinvilliers, traverse la commune au nord du village ainsi que, depuis 1969, le pipe-line reliant le Havre à Paris.
Dans la nuit du 22 au 23 Mai 1955, survient un événement important pour notre commune. Notre mairie école est partiellement détruite par un incendie. Celui-ci s’étant déclaré dans la nuit du dimanche au lundi ne fit heureusement aucune victime. L’incendie fut éteint par la brigade des sapeurs-pompiers de Mantes la Jolie car deux ans plus tôt, une délibération du conseil municipal du 16 aout 1953 décidait que « Vu l’enquête effectuée par Monsieur le Lieutenant-Colonel inspecteur départemental des services d’incendie, le conseil décide la dissolution du corps de sapeurs-pompiers de la commune de Villette ». Le bâtiment fut reconstruit mais sans le premier étage. On y ajouta, en 1964 une horloge offerte par le Comité des Fêtes qui fut installée dans l’œil de bœuf qui surplombe la porte de la mairie. C’est sous cet aspect que nous pouvons encore la voir aujourd’hui. Le solde de l’indemnité versée par l’assurance permit, en 1958, de construire derrière la mairie un autre bâtiment réservé au seul usage de l’école auquel on adjoignit une classe supplémentaire en 1967.
Notre mairie école avait perdu son mur d’enceinte et son étage (voir encadré) mais notre mairie, elle, a gagné son beau parvis bordé de rosiers. De nos jours, même si les agriculteurs ne forment plus la majorité des gens de la commune, le cœur de notre village garde son caractère rural et son charme un peu suranné. Il est d’ailleurs classé site protégé depuis 1971. Notre valliscoloris, notre vallée aux couleurs variées, quant à elle, n’a rien perdu de ses atours. Il suffit pour s’en convaincre de se promener sur les chemins à l’entour. Quelle que soit la saison, chaque moment est unique et notre vallée offre au promeneur un tableau aux nuances sans cesse renouvelées.
C’est ainsi que notre voyage arrive à son terme. Nous avions réglé notre machine à voyager dans le temps sur le siècle de Clovis. Que de péripéties et de rebondissements notre village et notre région ont connu durant ces quatorze siècles. Pourtant, le moment est maintenant venu de ranger notre machine. Les siècles suivants restent à écrire et, à l’instar de la devise de notre République, il est à espérer que la liberté, l’égalité et la fraternité soient pour longtemps encore partagées dans le cœur de chacun de nous.
[i] Registre des délibérations du Conseil Municipal
[ii] Archives départementales des Yvelines – Registres matricules – cote 1R/RM364
[iii] Archives départementales des Yvelines – Recensement 1936 – cote 9M987
[iv] Archives départementales des Yvelines – Recensement 1936 – cote 9M987
[v] Villette et son église – Michel Leclerc, juillet 2008
[vi] Musée de la résistance, département AERI de la Fondation de la Résistance