Des lumières à la Révolution

Pour cette cinquième chronique, notre voyage dans le temps nous conduit à une époque charnière dans l’histoire de la France. Je veux parler du XVIIIe siècle. Ce XVIIIe siècle qui commence par une royauté à son apogée et se termine sur la première République Française. Ce XVIIIe siècle qui aura connu les Lumières mais aussi la Terreur.
Commençons donc par notre village. Le 16 décembre 1710 M. de Lesseville vend les terres et la seigneurie sous le titre de marquisat à M. René Joachim de Chénédé, Premier Valet de Chambre de M. le Duc de Berry et Dame Anne Gabrielle Bachelier, son épouse.

Celui-ci restera Marquis de Rosay-Villette jusqu’à sa mort en 1739. La dite Dame Anne Gabrielle Bachelier, veuve du dit Sieur de Chénédé, Marquise de Rosay-Villette lui survivra. Sept ans plus tard elle vendra l’ensemble de ses biens à M. Charles Savalette, seigneur de Magnanville, Soindres, Boinvilliers et autres lieux, le 30 octobre 1746 pour une somme de 140 000 livres(1). Mme de Chénédé ayant conservé l’usufruit de ses terres sa vie durant, elle décédera sur le domaine le 20 septembre 1760. Attardons-nous quelques instants sur l’histoire de Mme de Chénédé. En effet, de celle-ci est parvenue jusqu’à nos jours une très belle pièce en bois, aujourd’hui classée, constituée d’un dossier de banc seigneurial (voir à droite).

Lors d’une précédente chronique(2), nous avions parlé du manoir qui s’élevait à proximité de l’église. Outre ce manoir, il y avait également sur la rive gauche du mauru(3), à droite de la rue Saint Martin en remontant, une grande ferme seigneuriale qui est décrite avec force détails dans l’acte d’achat de M. Savalette en 1746(4) :
« La maison et logement du fermier consistant en un vestibule en entrant, cuisine à droite communiquant dans l’enfoncement à une salle, servant de fournil, cave dessous, sur laquelle cuisine sont deux chambres et un grenier à bled sur le fournil, sur le derrière du grand corps de la dite maison il convient remanier à bout seize toises et demie de couverture en thuilles, dans le vestibule au pignon à gauche il convient refaire une toise de gros murs en sable, chaux et pierres. Un grand enclos en terre labourable derrière la dite maison, dans lequel est une cave en assez bon état ; les dits bâtiments couverts, cours et enclos fermés de murs en bon état avec une grande porte, autre que celle cy-dessus dite. Les champs contenant environ dix arpents, la dite grande porte en mauvais état. »
Cette grande porte qui séparait les corps de bâtiment de la zone de culture a vraisemblablement laissé son nom au lieu-dit La porte des champs.
En 1726, la paroisse de Villette ne comptait pas moins de 79 feux(5), ce qui représentait environ 395 personnes dont 282 gabellans(6) et les activités allaient bon train. Le commerce était prospère tout au long de la vallée.

C’est ainsi qu’en 1750, les habitants de la vallée de la Vaucouleurs demandèrent à ce que la route de Mantes à Houdan dite Le Chemin du Roy, qui n’était encore qu’un chemin de terre devenu impraticable à force de trafic, soit réparé. Voici les motifs allégués pour justifier leur revendication :
« Le commerce de toutes les denrées se trouve interrompu, les moulins qui sont situés sur la rivière de Vaucouleurs à portée du dit chemin sont, une partie de l’année, sans rien faire faute de pouvoir faire le transport des bleds, et autres marchandises, sans risquer de perdre les dites marchandises, crever les chevaux et briser les équipages même les plus forts.
Et que cette communication est encore essentielle pour le passage des troupes du Roy dont le nombre est considérable chaque année. Les trous et ornières empêchent pareillement ces mêmes troupes de passer et comme il n’y a point d’échappée, les hommes, les chevaux et encore plus les caissons et autres équipages que l’on a vu verser sont forcés d’arrester sans pouvoir avancer ny reculer ce qui fatigue ces troupes, ruine leurs équipages, retarde considérablement leur marche et est évidemment contraire à l’accélération du service.
Des représentations aussi importantes pour le service du Roy et pour le bien public ont porté Monseigneur à donner ses ordres le 28 juin 1750 au sieur Le Blanc Architecte pour examiner le mauvais état de cette route et faire un devis de réparation à y faire(7). »
Ce qui fut demandé fut fait :
« Au commencement de cette année 1753, on a fait le chemin de Mantes à Houdan en cailloutage. Il se fit à la corvée pour les chevaux et voitures, mais les terrassiers étaient payés. Ce chemin fut entrepris par M. Varin qui eut la partie allant depuis l’hôpital de Mantes(8) jusqu’à la côte de Courgent(9). »
Puis on planta des ormes de part et d’autre de cette route selon une tradition qui remontait à Henri IV. Bien qu’elle ne s’appelât pas encore ainsi, la départementale 983 était née. Les meuniers de la vallée allaient pouvoir faire tourner les moulins à plein rendement.

À cette époque, il y avait sur la paroisse de Villette cinq moulins, à savoir : le grand et le petit moulin de Rosay, le moulin neuf, le moulin de Chavannes et le moulin de Villette. Celui-ci n’était pas dans les possessions du Marquis. Il appartenait à Charles François de Garic, écuyer, seigneur de Boisemont. Il fut rattaché au marquisat par l’acquisition que M. et Mme de Chénédé en firent le 26 novembre 1728.

Au commerce de la farine s’ajoutait le commerce du vin. En effet, en ce XVIIIe siècle, la vigne était une ressource importante pour la seigneurie. La répartition de la vigne à Villette dans un sondage de 1790 indiquait 20 % de surface en vignes par rapport aux terres labourables.
Outre la production pour la consommation locale, une part importante de celle-ci était destinée à la région parisienne. Le seigneur portait donc un grand intérêt aux vignobles pour lesquels il tenait des comptes détaillés. L’annonce de la cueillette ou levée du ban de vendange(10) était faite au son du tambour par le garde champêtre entre le 15 septembre et le 15 octobre.
Dans nos régions, cette culture a toujours été liée à un impératif, celui de pouvoir écouler rapidement le vin produit car il ne se conservait guère plus d’une année. Le transport par voie fluviale répondait à ces exigences aussi les collines et les vallées proches d’un fleuve navigable comme la Seine étaient-elles recherchées pour l’implantation de vignobles. Ce problème était d’autant plus crucial que les quantités produites étaient loin d’être négligeables comme le prouvent les indications livrées dans l’évaluation de la seigneurie de Rosay-Villette au XVIIIe siècle :
« Le pressoir à vin et à cidre, à savoir celui du bas Rosay et celui de Villette, produit quoiqu’ils ne soient pas banaux, dans les bonnes années 12 à 13 muids de vin soit entre 3 000 et 3 500 litres, et s’y faisait également du cidre duquel le droit se paie en argent. On estime le tout, année commune, à deux cent cinquante livres. »
On trouve à la même époque dans le Cueilloir(11) de la terre et seigneurie de Rosay-Villette, mention de deux courtiers en vin dans notre village, ce qui confirme l’importance de cette culture.
Les cépages les plus répandus à Villette étaient le meslier blanc ou rouge et surtout le meunier rouge, ces plans résistant particulièrement bien aux climats de nos régions. Des petits lopins de terre plantés de vigne étaient disséminés un peu partout sur le territoire de la commune, même lorsque le terrain était ingrat comme sur la côte des Gallerands par exemple. Il est vrai que la vigne s’accommode de tous les types de terrains pourvu que l’eau n’y stagne point.

Pendant ce temps, le monde autour de notre vallée s’accélère. En ce milieu de XVIIIe siècle, la société est en plein bouillonnement intellectuel qui donnera naissance au mouvement des Lumières. Voltaire, notamment, mène avec ses amis du parti philosophique, Condorcet, Diderot, D’Alembert, Turgot, un combat contre le fanatisme religieux et en faveur de la tolérance et la liberté de penser. Il participe également au développement du concept de savoir fondé sur la raison éclairée de l’homme. Ce concept sera repris quelques années plus tard par la révolution qui, dans son élan de déchristianisation, transformera nombre d’églises en Temple de la Raison et remplacera le culte de Dieu par celui de l’Être Suprême. Dans notre région, les églises de Houdan et d’Ivry-la-Bataille portent encore les inscriptions de cette époque (voir à droite).
Au-delà de nos frontières même, c’est l’Europe toute entière qui participe à cet élan créatif.

Outre la philosophie et la politique, c’est aussi le triomphe de Mozart, Bach, Vivaldi, Rameau, Haendel, Gluck, en peinture Watteau. Kant écrit ses trois œuvres sur la critique de la raison pure(12), de la raison pratique et du jugement. Bref, la société est en mutation. La structure politique qui depuis plusieurs siècles est basée sur une monarchie de droit divin se voit contestée par ces nouveaux philosophes tel Jean-Jacques Rousseau qui propose une démocratie où tous les citoyens sont égaux et liés par un contrat social(13 ). La souveraineté ne viendrait plus de Dieu, mais du Peuple.
Et puis vint la Révolution !
Il n’est pas dans l’objectif de cette chronique de décrire les causes de la Révolution Française. Le besoin d’émancipation de la société, notamment de la bourgeoisie, le rejet de l’absolutisme religieux, les difficultés de vivre du peuple (Impôts très lourds car les caisses de l’État sont vides, récoltes de l’année 1788 catastrophiques et hiver 1789 extrêmement rigoureux, etc.) ont certainement été des facteurs importants de ce grand événement. Mais celui-ci tient une place tellement particulière dans notre histoire qu’il serait ridicule de ne pas tenter d’observer comment il fut vécu dans notre vallée.
De ce point de vue, je ne peux résister au plaisir de vous présenter l’extrait de la monographie communale de l’instituteur consacré à ce chapitre de notre Histoire(14). L’extrait de cette monographie de 1899 soit un peu plus d’un siècle plus tard reflète bien l’enthousiasme de son auteur pour cette Révolution qui changea radicalement le cours de notre histoire.

Cette histoire de la Révolution Française, si elle ne s’est pas écrite dans notre vallée, nous n’y fûmes, toutefois, pas totalement étrangers. Il y avait, tout d’abord, le certificat de civisme(15) (voir à gauche) institué par la loi du 21 mars 1793 dans le cadre des comités de surveillance(16) communaux. Chaque citoyen de notre village devait avoir le sien. Il attestait de l’engagement de chacun au service de la cause révolutionnaire et permettait une libre circulation dans le pays. Il y avait également le service dans la garde nationale. Seuls les citoyens actifs, c’est-à-dire pouvant voter et ayant une résidence continue depuis plus d’une année, pouvaient servir dans la Garde Nationale. Les gardes nationaux avaient pour fonction de maintenir l’ordre et de garantir l’obéissance aux lois. Ils pouvaient dissiper « toutes émeutes populaires et attroupement séditieux », arrêter et livrer à la justice « les coupables d’excès et violences ».
La loi du 14 août 1791 avait reconnu l’existence de la Garde Nationale et en avait réglé l’organisation. Dans l’esprit de ses créateurs, la Garde Nationale représentait la Nation Armée constituée en garde permanente et populaire dans chaque commune. Dans notre région, celle-ci était organisée en seize bataillons cantonaux. Le bataillon dont Villette faisait partie était composé de 605 hommes dont 500 étaient habillés par la garde et 120 étaient armés.
Les villages rattachés à ce bataillon étaient les suivants :
Villette :    1 Compagnie
Vert :    1 Compagnie
Flacourt :    1 Compagnie
Boinvilliers :    1 Compagnie
Rosay :    1 Compagnie
Arnouville :    1 Compagnie
Guerville :    2 Compagnies
Un crédit spécial fut octroyé à la commune de Villette pour pourvoir aux dépenses de sa compagnie. En voici le détail :
1 Pour l’équipement du tambour    50 francs
2 Pour l’instruction du tambour    60 francs
3 Acquisition de la caisse    45 francs
4 Acquisition du drapeau    30 francs
5 Pour : bois, lumière, employés au corps    37,68 francs
Total     222,68 francs
Quelques événements mettent également en lumière le fait que la révolution ne se passait pas qu’à Paris. Il y a ce texte relaté dans le cahier de l’instituteur à propos d’un don de canons. Il s’agissait là, non de la garde nationale, mais de la milice bourgeoise fidèle au roi et encore active dans les premiers mois de la révolution : « Je soussigné, lieutenant de la première compagnie de la milice bourgeoise de Mantes, sous le commandement de M. le comte de Mornay, reconnais que le sieur Gosse receveur des terres et seigneuries de Rosay et Villette m’a remis aujourd’hui quatre pièces de canon dont deux de fonte du calibre de 2 livres et 2 autres de 1 livre ½ ou environ. Toutes sur leurs affûts peints en rouge. À Rosay le 18 août 1789(17) ». Cinq semaines après la prise de la Bastille, cet événement témoigne bien que le pays tout entier était traversé par cette révolution.
Quelque temps plus tard, le 5 floréal an II de la République(18), tous les habitants de Villette furent réquisitionnés pour aller couper et peler chacun une botte de bois destinée à fabriquer de la poudre noire pour les fusils et les canons.
Il y a aussi cette condamnation d’un meunier de Rosay et son charretier pendant la Terreur « En 1794, Claude Léger, âgé de 49 ans, meunier à Rosay et Pierre-François Fenoux, âgé de 42 ans, son charretier, sont condamnés à mort par jugement du tribunal révolutionnaire du 9 prairial an II(19) et exécutés le même jour pour avoir résisté à des réquisitions de froment opérées à Saint Martin des Champs et Osmoy(20) ».

L’histoire ne dit pas comment et où ils furent exécutés. En tout cas probablement pas sur les poteaux de justice de Villette. Il y avait en effet sur les terres du marquisat et depuis bien avant la Révolution, un endroit où étaient placés trois poteaux destinés à recevoir et supplicier les personnes condamnées par la justice du marquis. Cet endroit, situé à environ 300 m sur le versant à l’ouest de la pisciculture, était appelé La Justice et a laissé son nom au lieu-dit. Il était, dit-on, placé là pour être visible depuis le château du marquis(21).

Nous voici arrivé au terme de notre chronique. La prochaine nous  rapprochera encore un peu plus de nos temps actuels en traversant le XIXe siècle.
Mais ceci est une autre histoire…

(1) Archives Départementales : Série E Suppl. 355. La loi du 25 germinal an IV avait défini le taux de change à 1 franc pour 1,0125 livre. Une livre valait donc un petit peu moins qu’un franc. À titre d’exemple un quarteron d’œufs (25 œufs) valait dans la région de Chartres : 1 livre, 17 sous et 2 deniers soit environ 1,84 franc.
(2) Troisième chronique – Du moyen âge à la renaissance.
(3) Canal que l’on appelle mauru ou mort ru qui alimente le moulin.
(4) Archives Départementales : Série E Suppl. 329
(5) Feu – que l’on peut rapprocher de foyer ou de famille. Un feu était estimé en moyenne à cinq personnes.
(6) Gabellan : personne âgée de plus de 8 ans qui paie la gabelle sur le sel.
(7) Archives Départementales : Série E Suppl. 243
(8) À cette époque l’hôpital de Mantes était situé en face de la polyclinique boulevard Victor Duhamel.
(9) R. Moulin – La vie, le visage de Septeuil à l’aube du XXe siècle.
(10) La levée du ban de vendange correspondait à la levée de l’interdiction de commencer à cueillir le raisin.
(11) Le cueilloir était un registre des impôts sur lequel étaient portés le nom du redevable, sa profession et le montant de l’impôt dû.
(12) L’œuvre de Kant La Critique de la raison pure (Kritik der reinen Vernunft) publiée en 1781 est considérée comme son œuvre majeure.
(13) L’ouvrage de Jean-Jacques Rousseau Du Contrat Social ou Principes du droit politique fut publié en 1762. Il s’est rapidement imposé comme un des textes majeurs de la philosophie politique en affirmant le principe de souveraineté du peuple appuyé sur les notions de liberté, d’égalité, et de volonté générale.
(14) Archives Départementales : Cote 1T mono 10/24
(15) Appelé également carte de civisme.
(16) Les comités de surveillance (qui deviendront, par la suite, les comités révolutionnaires) sont placés sous l’autorité du comité de sûreté générale dont les membres sont désignés par l’assemblée municipale.
(17) Archives Départementales : Cote 1T mono 10/24
(18) avril 1794
(19) mai 1794
(20) Archives Départementales : Cote 1T mono 10/24
(21) Château de Rosay.

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