En cette fin de XVIe siècle, la famille de Beauchamp vend peu à peu les domaines et les terres : en 1595, vente de bois à Jacques Brethe de Clermont, seigneur de Boinvilliers, le 13 juin 1618 vente du lieu seigneurial de Villette par Louis de Beauchamp à M. François Courtin, Maître Des Requêtes et seigneur du Bas-Rosay, en 1611 vente à Jean Courtin du domaine de Leuze et les terres associées, en 1622 vente des terres de Villette à M. François Courtin.
Cette famille Courtin n’est pas nouvelle dans la région. En effet, en 1513 la seigneurie du Bas-Rosay avait été vendue par Jean de Fredet(1) à Guillaume Courtin(2), écuyer, seigneur de Gournay, secrétaire du Roi(3).
À noter que Charles de Fredet, dont il est question sur la dalle tumulaire (voir encadré) exposée à l’église Saint Martin de Villette(4), était le Fils de Jean de Fredet dont nous venons de parler et de Geneviève du Bois dame de Rosay qui, une fois veuve, se remaria avec Guillaume Courtin apportant ainsi à la famille Courtin le reste du domaine des Fredets.
Dans la période 1580 – 1590 François Courtin fait construire sur le Haut Rosay le château que l’on peut admirer aujourd’hui. Ce château fut bâti sur les ruines d’une maison forte close de fossés. Voici ce qu’en dit Paul Aubert dans sa monographie communale(5) :
« Sous Henri III, le conseiller au parlement Courtin construisit, au flanc du coteau au bas duquel coule la Vaucouleurs, le château de Rosay. C’est un élégant édifice renaissance où domine la teinte rouge des briques. L’édifice repose sur de puissantes fondations du moyen âge ; l’emplacement d’anciennes tourelles et d’une double enceinte fortifiée reste nettement marqué. »
Il était donc assez logique que la famille Courtin cherche à agrandir son domaine sur les fiefs voisins. Le 13 juin 1618, François Courtin fait l’acquisition des terres de Villette et du manoir près de l’église. En 1611 Jean, le père de François Courtin achète les terres de Leuze avec l’hôtel seigneurial. Le hameau de Saint-Corentin sera également acheté à la même époque.
Il ne faut d’ailleurs pas perdre de vue qu’en ce temps-là, les hameaux de Chavannes, Villette, Leuze, Garrés, Rosay, Petit Bilheux et Saint-Corentin ne formaient qu’une seule et même paroisse, la paroisse de Villette. L’église de Villette était le centre de la vie religieuse et sociale pour tous les habitants de ces hameaux, du seigneur au plus humble des serfs.
D’autre part, grâce au roi Henry IV et à la signature de l’édit de Nantes le 13 avril 1598, les conflits religieux s’étaient enfin tus laissant place au développement du royaume.
Dans ce contexte, notre village ne pouvait pas manquer de devenir également un lieu privilégié pour le commerce. Outre les personnages importants comme le curé et les métiers de la terre tels que : laboureurs, journaliers, pasteurs des bêtes à laine(7), vignerons, nous trouvions à Villette : des marguilliers(8), un arpenteur, un marchand de bois, un sabotier, un charretier, un épicier, un couvreur en chaume, un tisserand en toile, un charpentier menuisier, un charron, des meuniers à farine et à tan(9). On trouvait donc là tout ce dont on avait besoin pour assurer la vie de tous les jours sans avoir à se rendre à la ville plus que nécessaire.
Afin d’accueillir tous ces artisans et commerçants, il a fallu construire des maisons. Alors, à quoi ressemblaient les maisons au XVIIe siècle ?
Certes, les édifices en pierre des seigneurs et du clergé, même très anciens, ont résisté à la fuite des jours, mais il n’en allait pas de même pour les maisons des gens moins fortunés. Pourtant, notre vallée étant fort généreuse en pierres de toutes tailles, en ce XVIIe siècle, les constructions en torchis cèdent peu à peu la place aux constructions en pierre telles que l’on peut encore en voir aujourd’hui.
Quant aux constructions en torchis, nous pouvons, néanmoins, nous en faire une idée en observant la façade d’une des plus anciennes maisons de notre village sise au-dessus du lavoir Saint-Martin. Elle est décrite ainsi dans un acte de vente du 6 septembre 1721 : « un chauffoir(10) et grenier dessus de fond en comble couvert de chaume avec un petit faune(11) ». Les composants de ce matériau, l’eau, l’argile et la paille ou le foin, se trouvaient sur place en abondance. Les toits, quant à eux et quel que soit le type de construction étaient de chaume, là encore, matériau disponible sur place.
La raison principale de cette évolution vers la pierre était une amélioration considérable de la résistance aux intempéries. Les maisons en torchis étaient relativement fragiles. Ainsi celles placées près de la rivière étant à la merci des crues de la Vaucouleurs étaient régulièrement détruites. Ces crues pouvaient être redoutables et n’ont pas manqué de frapper l’imagination populaire puisque nous retrouvons les faits consignés dans les archives : nous pouvons notamment y lire qu’en 1625 lors d’une crue hivernale, de nombreuses maisons furent emportées et plusieurs de leurs habitants noyés. On dénombra alors 19 morts entre Septeuil et Villette.
La vie des habitants n’était certes pas un long fleuve tranquille. Outre les hivers ponctués de crues aussi importantes que fréquentes, les récoltes n’étaient pas toujours à la hauteur espérée, ce qui pouvait entraîner des difficultés pour se nourrir. Ainsi à la fin de ce XVIe siècle, un hiver très rigoureux suivi l’année suivante d’une récolte très médiocre, causée par un printemps et un été trop pluvieux provoqua une grande famine dans le pays. Selon Emmanuel Leroy-Ladurie, on dénombra en France en 1694 jusqu’à 1 300 000 morts dues à la famine.
La présence des loups dans nos bois était également une source de danger permanent. Lors des hivers les plus rigoureux, les loups, bien qu’activement chassés, venaient rôder autour des villages, occasionnant des ravages. Un de leurs derniers méfaits connu remonte au 25 avril 1680 : ce jour-là, ils attaquèrent une fillette dans la vallée. Le procès-verbal fut dressé par le juge de Rosay(12).
Au cours de ce XVIe siècle pas moins de trois rois vont se succéder à la tête du Royaume de France(13). Henri IV, une fois la paix revenue, va s’attacher en priorité au relèvement économique et financier du pays. Olivier de Serres(14) et son traité « Théâtre d’Agriculture et mesnage des champs » va, notamment, contribuer à améliorer les techniques d’agriculture alors en vigueur.
Louis XIII, quant à lui, bien que roi dès 1610, n’en assumera la charge qu’en 1617 après s’être débarrassé de la régence de sa mère Marie de Médicis par un coup d’état. En matière de politique intérieure, il continuera, avec Richelieu, la rationalisation du système administratif d’état commencée par ses prédécesseurs. Il est, notamment, à l’origine de l’édit qui fait obligation aux évêques d’octroyer une rémunération aux officiers du culte et crée le premier office de recensement des chômeurs et invalides. C’est également sous son règne que fut fondée l’Académie Française.
Louis XIV, enfin, marque l’apogée du pouvoir royal absolu. Le monarque impose l’obéissance à tous les ordres et contrôle tous les courants d’opinion y compris littéraires et religieux, Mais c’est aussi une période de très grands changements du point de vue culturel et scientifique. La culture française rayonne en Europe dans tous les domaines. Les artistes, intellectuels et scientifiques français sont alors au cœur des réseaux culturels européens. Ainsi tout est en place. De ce XVIIe siècle bien nommé « le Grand Siècle » naîtra au siècle prochain, le courant de pensée dit « des Lumières ».
Mais revenons à notre belle vallée. Un an après le mariage de Geneviève, la fille de Nicolas Courtin, héritière de la seigneurie de Rosay-Villette avec François Briçonnet, chevalier, comte d’Auteuil, Président en la 3e Chambre des Enquêtes, Louis XIV, en remerciement de services rendus, par lettre patente d’avril 1671, érige la seigneurie « du dit François Briçonnet et de ses héritiers et enfants males nés et à naitre en loyal mariage ou ayant cause en titre et dignité de marquisat(15) ».
Voici donc la seigneurie de Rosay-Villette et donc notre village sous la gouvernance d’un marquis proche du roi. Peut-être est-ce pour cette raison que celui-ci rendit un jour visite au marquis en passant par le « Chemin du Roy(16) » près de notre village. La visite est décrite en termes fleuris dans la monographie de l’instituteur(17). « Faut-il s’étonner que le Grand Roi Louis XIV soit venu soupirer en compagnie de son amoureux cortège dans ce joli coin du joli Val des Roses(18) ». (19)L’amoureux cortège dont il est question ici est très probablement Françoise d’Aubigné, marquise de Maintenon, dernière favorite du Roi et devenue sa seconde épouse le 10 octobre 1683.
À partir de cette fin de XVIIe siècle, le marquisat de Rosay-Villette va être revendu plusieurs fois en l’espace d’une dizaine d’années. Le fils Guillaume Briçonnet succédant à son père le 16 janvier 1697, ne resta que peu de temps puisqu’il vendit le domaine à M. Eustache Le Clerc de Lesseville, Maître de la Chambre des Comptes, le 31 juillet 1705. M. de Lesseville se dessaisit à son tour cinq ans plus tard, le 16 décembre 1710, des dites terres et de la seigneurie, sous le titre de marquisat au profit de M. René Joachim de Chénédé, Premier Vallet de Chambre de M. le Duc de Berry et Dame Anne Gabrielle Bachelier, son épouse.
Mais ceci est une autre histoire…
Avant de clore cette chronique, voici, ci-contre, un extrait d’un recueil de quatrains écrit par un papiste sur les huguenots. Il nous montre combien la plume était acérée. Les tensions religieuses qui s’étaient calmées au moment de la signature de l’édit de Nantes, étaient peu à peu revenues. Louis XIV sous la pression de l’église abrogea le fameux édit et revint vers une politique en faveur de l’église de Rome. Dans ces quatrains nous pouvons lire des mots comme Ly Moy que l’auteur fait résonner avec Lie-Moy. Hors Ly Moy signifie Limay. Nous trouvons également Enfer qui n’est rien d’autre que le village dans le Vexin au nord de Mantes la Jolie et là l’auteur s’en sert pour évoquer l’enfer. Enfin Averne est le village d’Avernes aussi dans le Vexin. Il faut dire qu’à cette époque les environs nord de la Seine étaient plutôt du côté des huguenots alors qu’au sud c’était plutôt les papistes.
1 Jean de Fredet (1480 †1521) Seigneur de Jumeauville et de Rosay.
2 Arrière grand père de François Courtin qui fit construire le Château de Rosay.
3 Rosay, monographie communale de Paul Aubert – Archives départementales des Yvelines, cote J3211/20/2
4 Elle fut découverte au XIXe siècle au dos de la chaire lors de la dépose de celle-ci.
5 Rosay, monographie communale de Paul Aubert – Archives départementales des Yvelines, cote J3211/20/2
6 3e chronique, du moyen âge à la renaissance.
7 Berger
8 3e chronique, du moyen âge à la renaissance
9 Tiré du Cueilloir de Villette (Registre des Impôts).
10 Un chauffoir est une vaste pièce d’étage servant tout à la fois de cuisine et de salle à manger, voire même de chambre à coucher et constitue un lieu privilégié de la vie familiale.
11 Patrimoine des communes de France Topic-Topos – Livre de Villette.
12 Archives Départementales. S B 324.
13 Henry IV (1589 †1610), Louis XIII (†1643),, Louis XIV (†1715).
14 Olivier de Serres (1539 †1619) est généralement considéré comme le père de l’agronomie française.
15 Archives Départementales Série E Suppl. 329
16 Actuelle route départementale 983.
17 Monographie communale de l’instituteur – Rosay – Archives Départementales. Cote 1T mono 10/24
18 Val des Roses – lat Roseium – Rosay
19 Monographie communale de l’instituteur – Rosay – Archives Départementales. Cote 1T mono 10/24