Du Moyen Âge à la renaissance

Souvenez-vous.

Nous sommes en 1245, un certain Robert de Villette vient d’assassiner le Prieur de Juziers. Robert de Villette, Chevalier de Mantes, était issu d’une vieille famille remontant à Thédoulh et Gauthier de Villette(1), chevaliers vivant au XI siècle.
Un siècle plus tard on retrouvera trace de chevaliers de Villette, en les personnes de Guillaume et Pierre qui étaient vassaux de Septeuil (2). À cette époque une autre famille commence à s’implanter à Villette : les « de Beauchamp ». Dès le début du XVe siècle, nous trouvons trace de possession de terres à Villette par les de Beauchamp. Le 14 avril 1417, Jean de Beauchamp devient seigneur de Villette et reçoit l’aveu(3) de Savart Mailler pour son fief. Jusqu’à la fin du XVIe siècle et malgré les difficultés de ces temps troublés, ils ne cesseront d’agrandir leur domaine.


Cette période appelée bas moyen âge, va nous conduire jusqu’à la renaissance (XVe et XVIe siècles). Ce fut une période où tous les éléments semblaient s’être ligués pour le malheur des peuples. Le XIVe siècle commença par une période de sécheresse qui fut la plus importante du 2e millénaire, notamment l’an 1303, suivie d’une période très humide de 1312 à 1319. On rapporte également, qu’en 1438, le Mantois, alors sous occupation anglaise, est à nouveau soumis à la famine. Le blé vaut neuf livres le setier(4). Cet hiver 1438 fut particulièrement terrible et l’on raconte que les loups battaient la campagne jusqu’aux portes de Mantes. « Les gens aux environs de Paris et de Mantes n’osaient sortir à cause de la grande quantité de loups qui dévoraient les personnes quand ils les rencontraient ». Quant à la grande épidémie de peste noire, elle ne frappera notre région qu’au tout début du XVIe siècle.
Mais l’aube de ce XIVe siècle est surtout marquée par le début de la guerre de Cent Ans. À la fin du XIIe siècle globalement tout l’ouest de la France était anglais(6). Notre village, quant à lui, n’en faisait pas partie, étant déjà rattaché à la couronne de France avec le Mantois. Mais entre le XIIe et le XIIIe siècle, le roi Philippe Auguste, cherchant toujours à agrandir le royaume de France, avait reconquis une partie des fiefs Plantagenêt et notamment le Maine, l’Anjou et la Normandie. Il réveillait du même coup les envies de revanche des Anglais. Après bien des vicissitudes, Philippe VI de France(7) décide de confisquer la Guyenne aux Anglais pour félonie le 24 mai 1337. Édouard III d’Angleterre réplique en revendiquant la couronne de France. Le 7 octobre 1337, un archevêque est envoyé à Paris pour jeter le gant à « Philippe, qui se dit roi de France ». La guerre de Cent Ans est commencée. Elle entraînera grands ravages, famines et morts.
Il ne faut, malgré tout, pas voir cette guerre comme une bataille permanente mais plus exactement comme cent ans d’hostilités entre les deux royaumes. Ce fut une longue période de conflits intermittents, en moyenne une année de guerre sur cinq, coupée de trêves et de négociations. C’est ainsi que Mantes et ses environs furent occupés par les Anglais à partir de 1419 pendant 30 ans. C’est en 1449 que les troupes de Charles VII chassèrent les Anglais de Mantes mettant un point final à la guerre dans notre région. La guerre de cent ans prenait définitivement fin quatre ans plus tard, en 1453.

Néanmoins et malgré les conditions difficiles, la vie continuait dans notre village. Les techniques de culture qui avaient commencé à évoluer dès le XIIe siècle se modifient. Les deux labours croisés à l’araire sont remplacés par trois labours à la charrue dans le même sens, le troisième étant peu profond pour garder le fumier, suivi de hersage et de binage. La pratique des assolements triennaux sauvegardée dans les grandes villas et dans les domaines religieux, se répand : hivernois(8) en première sole, trémois(9), lentilles, pois ou fèves en deuxième sole puis une jachère. De cette époque date le découpage si typique et si particulier des champs découpés en lanières parallèles étroites et très longues afin d’éviter le demi-tour trop fréquent de la charrue et l’empiétement sur les autres parcelles.

À partir du XIIe siècle apparaissent les fabriques. Née en Italie et en Angleterre, la fabrique est une structure assimilable à une personne morale et chargée d’administrer et d’entretenir les biens de l’église. Elle s’introduit dans les institutions paroissiales françaises au XIIIe siècle. L’administration de la fabrique était confiée à un conseil(10) composé à Villette de trois marguilliers(11) et du curé en tant que membres de droit. Supprimées à la Révolution Française vers 1792, elles seront rétablies par l’article 76 du Concordat de 1801. Elles disparaîtront définitivement entre 1910 et 1920.
Dans la fonction du marguillier il y avait la tenue du registre des pauvres de la paroisse, dit registre d’aumônes. C’est peut-être de cette époque que datent les premiers précurseurs de nos registres d’état civil. En 1474, Louis XI interdit que l’on change de nom sans autorisation royale et moins d’un siècle plus tard, en 1539, François Ier, par l’ordonnance de Villers-Cotterêts, oblige les prêtres à tenir le registre de leurs paroissiens. Pour Villette, ce registre(12) commence en 1598 et se termine le 6 fructidor an 11(13), date à laquelle les maires prennent le relais de ce qui est devenu depuis notre registre d’état civil.

Il est étonnant de constater que de nombreuses églises de la région dont la nôtre ont été, soit rénovées, soit reconstruites durant le XVIe siècle. À cela peut-être plusieurs facteurs : le premier, les guerres de religions qui ont été violentes et ont ravagé nombre d’édifices religieux. En 1589 Mantes décide de soutenir la Ligue Catholique du duc de Guise contre le roi Henri IV ce qui entraîna de nombreux affrontements entre les armées du Roi et celles du Duc de Mayenne, frère du Duc de Guise. Mais ceci entraîne le deuxième facteur : Le Roi ayant fini par l’emporter, la ville lui ouvrit ses portes au printemps 1590. Paris étant toujours rebelle à son autorité, le Roi Henri IV installa son gouvernement à Mantes pendant près de deux ans faisant de celle-ci la capitale de fait du royaume. Il est donc probable que la présence de la cour royale à Mantes et ses environs eut des effets bénéfiques sur l’économie de la région.

Revenons maintenant à la famille de Beauchamp car celle-ci va nous permettre au travers des traces des différents actes la concernant d’éclairer quelque peu cette période de l’histoire de notre village.
Le 14 avril 1417, Jean de Beauchamp devient seigneur de Villette et reçoit devant le sieur Le Charron tabellion(14) à Mantes, l’aveu de Savart Mailler pour son fief. Au cours des deux siècles qui suivent, la famille de Beauchamp va multiplier les acquisitions et étendre sa seigneurie sur tout le village. Deux branches de la famille vont se partager les terres de ce qui est aujourd’hui la commune de Villette. D’un côté, Jean de Beauchamp (le petit-fils) qui en 1518, est en possession des deux tiers de Villette et de l’autre Guerard de Beauchamp en possession de l’autre tiers(15).
Parmi les acquisitions faites par Jean de Beauchamp, se trouvait un moulin à foulon. Ce moulin était destiné à traiter la laine de mouton. En effet, le foulage de la laine à carde permettait d’obtenir une étoffe plus solide, plus consistante et plus moelleuse. Nous en trouvons trace dans l’aveu du 14 avril 1417 : « Plus le dit Savart Mailler déclare avoir droit de prendre et percevoir le jour Saint Rémi, 3 sols parisis sur un moulin à draps situé à Villette »(16). Dans l’aveu de René de Beauchamp en date du 13 juillet 1539, on apprend que ce moulin à foulon était situé au lieu-dit « Le Tronchet », actuel emplacement du moulin de Chavannes(17). Mais quelques dizaines d’années plus tard, le 8 mars 1595, on trouve mention de ce même moulin de Chavannes ou « moulin des Prez » devenu moulin à eau faisant de bled farine. Le moulin à blé avait remplacé le moulin à foulon.
Le fils aîné de Jean, le seigneur René de Beauchamp vivait dans un manoir situé près de l’église et du moulin. L’aveu nous informe avec précision sur son emplacement(18).
« Un manoir seigneurial et dépendances. D’un côté le cimetière(19) de l’église. D’un côté les ayants cause de feu S. Bretion et Drouez. D’un bout Jean Descez et ses hoirs(20) Mathurin le Duc. D’autre bout le chemin du Roy et le Mauru de la rivière de Vaucouleurs. »
Outre le manoir, René de Beauchamp possédait également le moulin à blé dit le « moulin neuf ». Il était très vraisemblablement construit à proximité de l’endroit de l’actuelle pisciculture, raison pour laquelle la rue s’appelle rue du moulin neuf. Celui-ci est cité dans l’aveu(21) du 13 juillet 1539 :
« Le dit écuyer avouant posséder 3 arpents de pré et un moulin faisant de bled farine séant dedans appelé le moulin neuf. Cette pièce de terre a été acquise par Jean de Beauchamp, père de René de Beauchamp qui sur la dite place en pré, a édifié le dit moulin à bled. »
Nous pouvons donc dater approximativement sa construction entre 1515, date de l’aveu de Jean de Beauchamp, et 1538, date de sa mort. Le moulin neuf sera détruit lors d’un incendie dû à la négligence d’un domestique, mais il sera reconstruit puisqu’il est question dans l’acte d’acquisition de M. Savalette, en 1746, du « moulin neuf nouvellement reconstruit » et décrit(22) comme suit :
« Le moulin consistant en sa cage et machine, tournant et moulant, une maison de meunier à côté et une étable à porc au bout vers le nord, là un grand corps de logis devant ceux cy-dessus consistant en une ancienne maison servant de fournil, une écurie, une grange, une étable et une deuxième écurie le tout couvert de thuilles et en bon état ; excepté le pignon d’entre la susdite ancienne maison et l’écurie contenant neuf toises qu’il convient de refaire à neuf en pierres et terre. »
Le moulin, devenu propriété de la Comtesse de Jobal, cessera toute activité entre 1856 et 1867.
L’autre branche en la personne de Jacques de Beauchamp, fils de Guerard achète, le 4 septembre 1573, les droits sur le pressoir de Villette(23) qu’il transformera en demeure seigneuriale. Nous en trouvons trace dans l’acte de vente(24) à Jean Courtin en ces termes : « en 1611, vente à Jean Courtin de l’hôtel seigneurial du seigneur de Beauchamp situé à Leuze, près des fontaines, il n’était pas très luxueux car il est dit dans le titre de vente, qu’il était couvert mi-partie en tuile, et mi-partie en chaume avec un pressoir au milieu de la cour. ».
De ces deux édifices il ne reste rien aujourd’hui. Il semble qu’ils aient été, de toute façon l’un comme l’autre, de modeste facture. À partir de cette fin de XVIe siècle, les de Beauchamp vendront peu à peu leur domaine. En 1595, vente de bois à Jacques Brethe de Clermont, seigneur de Boinvilliers. En 1599 Jean de Beauchamp est condamné et décapité à Mantes pour crime d’assassinat contre Charles de Beauchamp, son grand-oncle. Ce qui conduit à la saisie par Maximilien de Béthune(25) des terres de Leuze avec l’hôtel seigneurial qui seront vendus en 1611 à Jean Courtin. Le 13 juin 1618, a lieu la vente du manoir près de l’église par Louis de Beauchamp à François Courtin de Bruxelles, Maître des Requêtes et seigneur du Bas-Rosay(26). Enfin, en 1622 a lieu la vente des terres de Villette au même François Courtin.

La présence de la famille de Beauchamp à Villette s’inscrit dans la période de la Renaissance française. Celle-ci fut pendant les XVe et XVIe siècles un grand mouvement d’émancipation de la société. Dans les techniques, c’est certainement l’invention de Gutenberg qui fut la plus marquante. En effet, celui-ci invente vers 1460, un procédé de caractères mobiles réutilisables pour l’imprimerie, ce qui diminue considérablement le temps de travail et donc le coût des ouvrages. Les livres étant de plus en plus accessibles, cela permet à un plus grand nombre de personnes d’accéder à la culture.
Quelques années plus tard, la diffusion imprimée et traduite en français de la vulgate (27) conduira les humanistes à remettre en cause les principes de lecture de la Bible hérités du Moyen âge et favorisera ainsi la propagation des idées de la Réforme.
Dans le domaine philosophique, les humanistes comme Érasme et son « Éloge de la folie », Montaigne et ses essais, La Boétie avec son « Discours de la servitude volontaire » bouleversent les réflexions philosophiques de leur temps.
En 1539, l’ordonnance de Villers-Cotterêts impose l’usage du Français dans tous les actes officiels administratifs, judiciaires et diplomatiques. Cette ordonnance s’inscrit dans un mouvement général des érudits vers la langue française. On traduit les textes anciens, et Rabelais écrit sa « geste » parodique en français. Étienne Dolet (1509-1546), imprimeur, philologue, érudit et poète cité avec éloge par du Bellay comme « homme de bon jugement en notre vulgaire », qui allait pourtant finir brûlé vif pour athéisme, abandonne le latin au profit du français. Marguerite de Navarre, elle-même, bien que condamnée par la Sorbonne dès 1531 pour son « Miroir de l’âme pécheresse » continuera ses écrits en français, etc.
En politique, la Renaissance a ceci de spécifique que le pouvoir du roi s’accentue sur ses vassaux. On passe progressivement d’un régime de suzeraineté à un régime de souveraineté. François Ier est ainsi l’un des premiers monarques français, au sens propre du terme. Henri IV poursuivra dans cette voie par un accroissement de ses responsabilités. Avec la signature de l’édit de Nantes en 1598 il devenait le garant de la sécurité du pays unifié. La rédaction du droit coutumier, jusqu’alors oral, était inaugurée. Pour le Mantois la rédaction de la coutume de Mantes eut lieu en 1556. René de Beauchamp, seigneur de Villette faisait partie de la représentation de la noblesse. C’est aussi à cette époque que les impôts extraordinaires pour l’effort de guerre se transforment en impôts réguliers. La monarchie instaurait ainsi un système d’imposition permanent permettant de remplir régulièrement les caisses de l’État.
Avec la fin de la Renaissance s’achève notre chronique pour cette année. Bien des choses nous attendent encore dans ce XVIIe siècle qui s’annonce.
Mais ceci est une autre histoire.

(1) _Monographie de Villette – Émile GRAVE.
(2) _Nobiliaire et armorial du comté de Montfort l’Amaury – Adrien MAQUET et Adolphe de DION. Autlet, 1881
(3) _L’aveu est une déclaration écrite que doit fournir le vassal à son suzerain lorsqu’il entre en possession d’un fief (par achat ou héritage). L’aveu est accompagné d’un dénombrement ou minu décrivant en détail les biens composant le fief.
(4) _Le setier de Paris valait 12 boisseaux de 640 pouces cubes, soit 152 litres.
(5) _Dictionnaire du monde rural – M. LARCHIVER. Fayard, 2006
(6) _Voir numéro précédent du bulletin de Villette.
(7) _Philippe de Valois – 1293, 1350. Il fut le premier roi de France de la branche collatérale des Valois.
(8) _Variété de blés d’hiver.
(9) _Variété de blés de printemps.
(10) _Les membres de ce conseil sont au nombre de trois : un président, un trésorier, un secrétaire.
(11) _Un marguillier est un laïc, membre du conseil de fabrique. Il est chargé de l’entretien de l’église, de l’administration des biens de la paroisse (terres, écoles, rentes et impôts) et de la tenue du registre des pauvres de la paroisse.
(2) _Ce registre est consultable depuis son origine sur le site :
http://archives.yvelines.fr/arkotheque/registres_paroissiaux_État_civil/État_civil_resu_rech.php
(13) _24 août 1794
(14) _Notaire.
(15) _Archives départementales – série E Supplément 355, cote 102.
(16) _Prieuré de Mantes – GAINIÈRE.
(17) _Preuves Tome XIV, extrait LEVRIER – Émile GRAVE.
(18) _Les possessions de l’abbaye de Cluny dans le Mantois par Jacques Charles de SERQUIGNY – Les amis du Mantois n° 10, 1959.
(19) _À cette époque le cimetière était le long du côté nord de l’église.
(20) _Héritiers.
(21) _Archives départementales – série E Supplément 355, cote 102.
(22) _Mantes et son arrondissement – Victor BOURSELET et Henry CLERISSE, Édition du Temps Paris, 1933
(23) _Archives départementales – série E Supplément 355, cote 217.
(24) _Archives du château de Rosay – Document relevé par monsieur le curé de Villette H. BELLAUNAY.
(25) _Maximilien de Béthune, duc de Sully (13 décembre 1559 – 22 décembre 1641), pair de France, maréchal de France, baron puis marquis de Rosny, ministre d’Henri IV.
(26) _Archives départementales – Admodiation et régie, cote 1056.
(27) _Version latine de la Bible, traduite par saint Jérôme, entre la fin du IVe et le début du Ve siècle directement depuis le texte hébreu.

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